Juillet 2022 : actualités juridiques

Juillet 2022 : actualités juridiques

La modification des droits des porteurs d’actions de préférence de SAS – CA Lyon 17-02-2022

En l’espèce, une société a décidé de réduire le montant du dividende prioritaire dont bénéficiaient les porteurs d’actions de préférence (ADP). A cet effet, la société convoqua deux assemblées. La première assemblée qui ne réunissait que les seuls porteurs d’actions de préférence a décidé de la réduction du montant de dividende prioritaire. La deuxième qui réunissait tous les associés de la société s’est prononcée sur la modification subséquente des statuts. Toutefois, certains porteurs d’actions de préférence, opposés à cette modification, invoquaient la nullité des décisions de ces assemblées au titre des moyens invoqués ci-dessous.

Faut-il recueillir le consentement individuel des porteurs d’actions de préférence pour modifier leurs droits ?

La Cour d’appel a rappelé qu’aucun texte légal n’impose que le consentement des porteurs d’actions de préférence soit recueilli individuellement préalablement à la modification de leurs droits. En effet, la Cour rappelle que le consentement individuel n’est exigé qu’en cas d’augmentation de leurs engagements (article 1836 alinéa 2 du Code Civil). Selon une jurisprudence constante, il y a augmentation des engagements des associés « si les dispositions prises par l’assemblée générale entraînent une aggravation de la dette contractée par eux envers la société ou envers les tiers » (Cass.civ. 9-2-1937 : DP 1937 I p.73 note A. Besson).

Par conséquent, selon la Cour d’appel, la réduction du montant du dividende prioritaire auquel ont droit les porteurs d’actions de préférence n’équivaut pas à une aggravation de leurs droits mais à une modification de leurs droits qui ne nécessite pas qu’ils y consentement individuellement.

Une assemblée spéciale des porteurs d’actions de préférence est-elle requise en vue de la modification de leurs droits ?

La Cour d’appel a rappelé que la réunion d’une assemblée spéciale de porteurs d’actions de préférence pour modifier les droits de ces derniers est facultative dans une SAS. En effet, la Cour rappelle que l’article L. 225-99 al 2 du Code de Commerce qui impose la tenue d’une assemblée spéciale des porteurs d’actions de préférence tenue de décider la modification de leurs droits ne s’applique pas aux SAS, en raison d’un défaut de renvoi de l’article L. 227-1 al 3 du Code de Commerce (disposition qui prévoit le régime juridique des SAS) à l’article L. 225-99 du Code de Commerce.

Par conséquent, dans les SAS, il appartient aux statuts de fixer les mécanismes de protection des droits de porteurs d’actions de préférence. A défaut de dispositions statutaires prévoyant une assemblée spéciale, la modification des droits de porteurs d’actions de préférence pourra donc être régulièrement décidée sans qu’une telle assemblée spéciale se réunisse. De plus, la Cour rajoute qu’en l’absence de telles dispositions statutaires, si la société venait à convoquer une assemblée réunissant uniquement les porteurs d’actions de préférence, celle-ci n'en serait pas pour autant une « assemblée générale » dans le sens des statuts et ne serait donc pas soumise aux dispositions statutaires prévues pour les assemblées générales.

Les porteurs d’actions de droit de préférence ont-ils le droit de participer à l’assemblée décidant la modification de leurs droits ?  

Les réfractaires à la réduction du montant du dividende prioritaire invoquaient l’article L. 228-15 du Code de Commerce pour soulever le moyen selon lequel les titulaires des actions de préférence ne devaient pas prendre part au vote décidant la réduction du dividende prioritaire car cette réduction équivaudrait en l’espèce à une conversion d’actions de préférence en actions d’une autre catégorie.

L’article L. 228-15 du Code de Commerce dispose en effet que « les titulaires d'actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie et les actions qu’ils détiennent ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, à moins que l’ensemble des actions ne fassent l’objet d’une conversion en actions de préférence ».

Toutefois, tel que l’a rappelé la Cour, la modification des droits au dividende prioritaire attachés aux ADP ne doit pas s’analyser en une conversion de ces actions en une autre catégorie mais simplement en une modification des droits attachés à des ADP déjà existantes. L’article L. 228-15 ne s’appliquait donc pas en l’espèce.

 

Le préjudice moral du président personne morale de SAS en cas de révocation brutale – Cass.Com. 30-3-2022 n° 19-25.794 F-D

En l’espèce, une SARL révoquée de ses fonctions de Président d’une SAS demande réparation de son préjudice moral subi en raison des conditions brutales et vexatoires de sa révocation.

Il convenait pour la Cour de cassation de décider si le Président, personne morale, démontrait un préjudice moral propre au titre de sa révocation brutale.

La Cour d’appel avait attribué à la personne physique représentant le Président des dommages-intérêts à l’exclusion du Président personne morale, au motif que ce dernier ne démontrait pas l’existence d’un préjudice propre.

La Cour a cassé cette décision au motif qu’en l’espèce, le Président personne morale démontrait un préjudice propre car la personne morale avait été directement visée par la révocation brutale. Cette décision rappelle donc que le préjudice subi en cas de révocation brutale résulte des circonstances qui ont entouré la révocation et non celle de la perte du droit de gérer la société (CA Paris 24-10- 2013 n°12/15029 et Cass.com 3-3-2015 n°14-12.036).

Ainsi, un dirigeant personne morale qui est révoqué de ses fonctions dans des circonstances vexatoires peut invoquer un préjudice moral propre, d’autant plus que divers arrêts ont déjà reconnu à une personne morale le droit à réparation au titre d’un préjudice moral subi en raison, par exemple, d’atteinte à l’image ou d’actes de concurrence déloyale. 

 

La réforme des privilèges et nantissements – Ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021

La réforme du droit des sûretés a été enclenchée au travers de l’ordonnance N°2021-1192 du 15 septembre 2021 dont la plupart des dispositions entreront en vigueur au 1er janvier 2023 alors que certaines dispositions sont d’ores et déjà devenues applicables au 1er janvier 2022. 

Parmi les principaux changements issus de la réforme figurent la suppression de certaines sûretés, la dématérialisation des formalités d’inscription de sûretés, et la création d’un registre unique dématérialisé.

Au titre des dispositions qui rentreront en vigueur au 1er janvier 2023, l’on retrouve la modification du régime du privilège de vendeur et du nantissement de fonds de commerce. A ce sujet, la sanction de la non-inscription de ces sûretés dans le délai de 30 jours de la signature de l’acte n’entraînera plus leur nullité mais simplement leur inopposabilité aux tiers. Par ailleurs, il ne sera plus exigé d’inscrire ces sûretés aux greffes de chaque établissement de la société mais uniquement au greffe de l’établissement principal. Enfin, l’obligation d’enregistrer l’acte de nantissement de fonds de commerce sous seing privé sera supprimé.

De même, au 1er janvier 2023, il sera créé un registre unique des sûretés mobilières et autres opérations connexes qui sera tenu sous la forme électronique et sera consultable sur internet et gratuitement.

Toutefois, au 1er janvier 2022, un nouveau régime du nantissement de parts de sociétés civiles est entré en vigueur. Désormais, le nantissement de parts de sociétés civiles n’est plus soumis à un régime propre mais plutôt à un régime identique à celui du nantissement de parts sociales de sociétés en nom collectif et de sociétés à responsabilité limitée qui est le régime du gage sans dépossession. En substance, l’obligation de faire accepter par la société le nantissement ou l’obligation de le lui signifier a été supprimée, et l’inscription du nantissement n’a plus une durée indéfinie mais de cinq ans. Elle devra donc être renouvelée avant l’expiration de ce délai sous peine de radiation.

 

Le droit d’interjeter appel en cas de refus de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du Code Civil – Cass.com. 25 mai 2022, n°20-14.352, FS-B-R : Jurisdata n°2022-008346

Selon l'article 1843-4 du Code Civil, la décision par laquelle le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent désigne un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux en cas de contestation entre les parties est sans recours possible.

Les juges avaient tendance à étendre cette solution aux hypothèses dans lesquelles le président du tribunal rejetait la demande de désignation d'un expert (Cass. com., 11 mars 2008, n° 07-13.189, P+B). Ainsi, les juges considéraient que la décision de rejet de la demande de désignation d’un expert était non-susceptible de recours à l’instar de la décision de désignation d’un expert.

Cependant, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans son arrêt du 25 mai 2022 dans lequel elle décide que l’absence de recours ne frappe que la décision par laquelle le président du tribunal désigne l’expert. Elle considère donc que le rejet par le président du tribunal compétent de la désignation d’un expert pourra faire l’objet d’un recours en appel car l’article 1843-3 du Code Civil ne prévoit l’absence de recours que dans l’hypothèse où le juge a accueilli la demande de désignation de l’expert.

La Cour de cassation ayant désormais ouvert la voie du recours en appel aux décisions du président du tribunal rejetant la désignation d’un expert, elle rajoute que la Cour d’appel à qui l’ordonnance du président du tribunal sera déférée pourra elle-même désigner un expert si elle décide d'infirmer l'ordonnance qui lui a été déférée.